Méditation : le corps mystique du Christ (suite) (10 mars 2013)

« A cause de la communion des membres d'un même Corps, nous avons pouvoir sur les souffrances des autres. Parce qu'elles sont celles de nos frères, elles sont les nôtres. Une sorte d'autorité nous a été donnée sur elles. J'oserai dire que nous avons le droit de disposer d'elles, au nom du Christ. Dans cette salle d'hôpital où vous souffrez, un malade - celui-là même qui occupe le lit d'à côté - se révolte, accuse sans cesse l'absurdité de son sort, ou bien sombre dans une indifférence qui lui fait "tuer le temps", comme l'on dit, au lieu de l'utiliser. Son épreuve vous appartient. Disposez d'elle ; assumez-la devant Dieu, avec le Christ, pour lui donner ce qui lui est refusé : un peu d'amour, afin qu'elle prenne un sens. Au Calvaire, le Seigneur était entouré par deux condamnés de droit commun. Tous deux souffraient, tous deux allaient mourir. On nous invite à imiter le bon larron, en nous tournant vers Jésus. Faisons-le. Mais nous pouvons plus encore, nous pouvons mettre de l'amour dans l'agonie du fils rebelle, du larron qui blasphème, nous pouvons incorporer sa souffrance à la nôtre, au point d'oser répondre à Jésus qui nous annonce le Paradis : "Oui, Seigneur, mais pas sans mon frère. Il est avec moi ; vous ne pouvez pas nous séparer. Seigneur, avec lui, le mauvais larron, avec lui, ce soir, dans ton Royaume !"

Frères chrétiens, vous qui avez la grâce d'adhérer par la foi vivante à ces réalités invisibles, plus réelles pour nous que ce que nous voyons et touchons, exercez largement, magnanimement, ce pouvoir, miraculeux à l'égal de celui des thaumaturges. Certains êtres ont été tellement frappés par le malheur, qu'ils sont installés en lui, déchus moralement, socialement, et qu'ils repoussent toute délivrance. On l'a écrit, avec une acuité singulière : ils sont comme vidés de leur personnalité, glacés jusqu'au principe de leur existence, "ils ne retrouveront jamais plus la chaleur, ils ne croiront jamais plus qu'ils sont quelqu'un" (*). Souffrance perdue : sur celle-là, entre toutes, on met ce qualificatif désespérant, et combien parmi nous le répètent, en y trouvant l'occasion de douter de la miséricorde infinie. Ne parlez pas de souffrance perdue, ni devant ce malheur, ni devant la déchirante souffrance des enfants, ou de grands malades du corps et de l'esprit qui, à force de souffrir, deviennent inconscients. Perdue ? A première vue sans doute. Mais ce n'est pas possible. Il y a la croix du Christ, et si tel membre de son Corps se dérobe à l'oeuvre commune, d'autres se substituent à lui. Oui ou non, sommes-nous un corps vivant ? L'homme de la Béatitude des larmes sait que beaucoup de souffrances ici-bas sont seulement souffertes, endurées péniblement, subies, mais il croit qu'à cause du Christ et - dans le mystère du Christ total - à cause de lui, elles ne peuvent pas être, elles ne sont pas, perdues. N'employez plus jamais ce mot. Rien, rien n'est perdu. Tout est offert, tout est emporté jusqu'au Coeur de Dieu par l'Ange des agonies humaines, à cause de vous, Seigneur Jésus-Christ, à cause de tous ceux qui vous ressemblent, à cause de l'amour qui aura, en tout, le dernier mot. »

(*) : Simone Weil, Attente de Dieu (La Colombe), p. 131.

Père A.-M. Carré, L'homme des Béatitudes, Conférences de Notre-Dame de Paris 1962 (2ème conférence), Editions du Cerf, Paris, 1962.

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