Méditation - Tout est dû à Dieu. Quelle part lui donnons-nous ? (11 février 2018)

« On est sans cesse dans la main de Dieu sans songer à lui, et on se sert de tous ses dons pour l'offenser. On ne voudrait pas mourir dans sa haine éternelle ; mais on ne veut point vivre dans son amour. On avoue que tout lui est dû, et on ne veut rien faire pour lui. On lui préfère les amusements qu'on méprise le plus. On n'oserait nommer les choses qu'on met souvent dans son cœur au-dessus de lui. On connaît l'indignité du monde, et on le sert avec bassesse ; on connaît la grandeur et la honte infinie de Dieu, et on ne lui donne que de vaines cérémonies. En cet état, on est autant contraire à sa raison qu'à la foi.

Vous connaissez la vérité, monsieur ; vous voudriez l'aimer. Vous auriez horreur de mourir comme ceux qu'on appelle honnêtes gens n'ont point de honte de vivre ; mais le torrent vous entraîne. Vous n'êtes pas d'accord avec vous-même, et vous ne pouvez vous résoudre à faire ce qui mettrait la paix dans votre cœur. Que tardez-vous ? Tous les tempéraments qu'on imagine pour se flatter sont faux. Dieu veut tout, et tout lui est dû. Il n'y a ni partage du cœur, ni retardement, que vous puissiez vous permettre. Le moins qu'on puisse faire pour celui de qui on tient tout et à qui on doit tout, c'est de se livrer à lui de bonne foi. Voulez-vous faire la loi à Dieu ? Voulez-vous lui prescrire des bornes sur votre dépendance ? Voulez-vous lui dire : Je vous trouve assez aimable pour mériter que je vous sacrifie un tel intérêt et un tel plaisir ; mais je ne saurais me résoudre à vous aimer jusqu'à vous sacrifier cet autre amusement ?

Attendez-vous que vos passions soient épuisées pour les lui sacrifier ? Voulez-vous, en attendant que vos goûts pour le monde s'usent, passer votre vie dans l'ingratitude, dans la résistance au Saint-Esprit, et dans le mépris des bontés de Dieu ? Voulez-vous tenter l'horrible événement de ces morts précipitées où Dieu surprend les pécheurs ingrats et endurcis ? ll ne s'agit pas seulement de s'abstenir des grands péchés ; il faut se tourner sérieusement vers le bien, le faire constamment, ne plus regarder derrière soi, se résoudre à se contraindre de suite, nourrir sa foi de lecture solide, de prière du cœur, et de présence de Dieu dans la journée.

Il faut se délier de sa faiblesse, et plus encore de sa présomption, sans laquelle la faiblesse humilierait, et ferait sentir le besoin de prier. Il faut craindre et éviter, autant que l'état où l'on est le peut permettre, toute société dangereuse. Quand on n'aime point le mal, on n'en retient ni l'occasion, ni l'apparence, ni le souvenir.

Il faut se mettre en état de recevoir souvent avec fruit et consolation les sacrements, pour sortir d'un état de langueur et de dissipation funeste. On est dégoûté jusqu'au découragement, et jusqu'à la tentation de désespoir : cependant on ne veut point chercher la force où elle est, ni puiser la céleste consolation dans ses sources. Ô que vous auriez le cœur content, si vous aviez rompu tous vos liens ! Ô que vous béniriez Dieu de vous avoir arraché à vous-même, si ce coup était achevé ! L'opération est douloureuse ; mais la santé qu'elle donne rend heureux. Je prie notre Seigneur de vous donner ce courage : demandez-le-lui très souvent. »

Fénelon (1651-1715), Extrait de la Lettre 158 (Au Vidame d'Amiens, fils puiné du Duc de Chevreuse), 22 octobre 1704, in "Œuvres" Tome Cinquième, Paris, Chez Lefèvre, Libraire-Editeur, 1858.

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