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Sermon de St Augustin pour le Vendredi Saint

« 1. On lit solennellement et solennellement on honore la passion de Celui dont le sang a effacé nos péchés, afin que ce culte annuel ranime plus vivement nos souvenirs et que le concours même des populations jette plus d'éclat sur notre foi. [...] C'est sans doute afin de nous aider à faire notre salut et à traverser utilement cette vie, que le Seigneur a daigné nous donner un grand exemple de patience en souffrant ce qu'il a souffert de la part de ses ennemis, et afin de nous disposer à souffrir, s'il le voulait, de semblables douleurs pour l'honneur de l’Évangile. Cependant comme il n'y a pas eu de contrainte et que tout a été volontaire dans ce qu'il a enduré en sa chair mortelle, on croit avec raison que dans les circonstances de sa passion dont il a fait consigner le récit dans l’Évangile, il a voulu encore indiquer autre chose.

2. D'abord, si après avoir été condamné à être crucifié, il a porté lui-même sa croix (1), c'était pour nous apprendre à vivre dans la réserve et pour nous montrer, en marchant en avant, ce que doit faire quiconque veut le suivre. Du reste il s'en est expliqué formellement. "Si quelqu'un m'aime, dit-il, qu'il prenne sa croix et me suive" (2). Or, c'est en quelque sorte porter sa croix que de bien gouverner cette nature mortelle.

3. S’il a été crucifié sur le Calvaire (3), c'était pour indiquer que par sa passion il remettait tous ces péchés dont il est écrit dans un Psaume : "Le nombre de mes iniquités s'est élevé au-dessus des cheveux de ma tête" (4).

4. Il eut à ses côtés deux hommes crucifiés avec lui (5) ; c'était pour montrer que des souffrances attendent et ceux qui sont à sa droite, et ceux qui sont à sa gauche ; ceux qui sont à sa droite et desquels il dit : "Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice" (6) ; ceux qui sont à sa gauche et dont il est écrit : "Quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien" (7).

5. En permettant qu'on plaçât au-dessus de sa croix le titre où il était désigné comme "Roi des Juifs" (8), il voulait montrer que même en le mettant à mort les Juifs ne pouvaient empêcher qu'il fût leur Roi : aussi viendra-t-il avec une grande gloire et une puissance souveraine leur rendre selon leurs œuvres ; et c'est pourquoi il est écrit dans un Psaume : "Pour moi, il m'a établi Roi sur Sion, sa montagne sainte" (9).

6. Ce titre fut écrit en trois langues, en hébreu, en grec et en latin (10) ; c'était pour signifier qu'il régnerait non seulement sur les Juifs mais encore sur les Gentils. Aussi après ces mots qui désignent sa domination sur les Juifs : "Pour moi, j'ai été établi Roi sur Sion, sa montagne sainte", il ajoute aussitôt, pour parler de son empire sur les Grecs et sur les Latins : "Le Seigneur m'a dit : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui ; demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage et pour domaine jusqu'aux extrémités de l'univers" (11). Ce n'est pas que les Gentils ne parlent que grec et latin ; c'est que ces deux langues l'emportent sur les autres : la langue grecque, à cause de sa littérature ; la langue latine, à cause de l'habileté politique des Romains. Les trois langues annonçaient donc que toute la gentilité se soumettrait à porter le joug du Christ. Le titre néanmoins ne portait pas Roi des Gentils, mais Roi des Juifs : c'était afin de rappeler par ce nom propre l'origine même de la race chrétienne. "La loi viendra de Sion, est-il écrit, et de Jérusalem la parole du Seigneur" (12). Quels sont d'ailleurs ceux qui disent avec un Psaume : "Il nous a assujetti les peuples, il a mis à nos pieds les Gentils" (13) ; sinon ceux dont parle ainsi l'Apôtre : "Si les Gentils sont entrés en partage de leurs biens spirituels, ils doivent leur faire part à leur tour de leurs biens temporels" (14) ?

7. Quand les princes des Juifs demandèrent à Pilate de ne pas mettre, dans un sens absolu, qu'il était Roi des Juifs, mais d'écrire seulement qu'il prétendait l'être (15), Pilate fut appelé à figurer comment l'olivier sauvage serait greffé sur lés rameaux rompus ; car Pilate appartenait à la gentilité et il écrivait alors la profession de foi de ces mêmes Gentils dont Notre-Seigneur avait dit lui-même : "Le royaume de Dieu vous sera enlevé et donné à une nation fidèle à la justice" (16). Il ne s'ensuit pas néanmoins que le Sauveur ne soit pas le Roi des Juifs. N'est-ce pas la racine qui porte la greffe sauvage et non cette greffe qui porte la racine ? Par suite de leur infidélité, ces rameaux sans doute se sont détachés du tronc ; mais il n'en faut pas conclure que Dieu ait repoussé le peuple prédestiné par lui. "Moi aussi, dit saint Paul, je suis Israélite" (17). De plus, quoique les fils du royaume se jettent dans les ténèbres pour n'avoir pas voulu que le Fils de Dieu régnât sur eux, beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident pour prendre place au banquet, non pas avec Platon et Cicéron, mais avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux (18).

Pilate aussi écrivit Roi des Juifs, et non pas Roi des Grecs et des Latins, quoiqu'il dût régner sur les Gentils ; et ce qu'il écrivit, il l'écrivit sans consentir à le changer malgré les réclamations de ces infidèles (19) : c'est que bien longtemps auparavant il lui avait été dit au livre des Psaumes : "N'altère point le titre, tel qu'il est écrit" (20). C'est donc au Roi des Juifs que croient tous les Gentils ; il règne sur toute la gentilité, mais comme Roi des Juifs. Telle a donc été la sève de cette racine, qu'elle a pu communiquer sa nature au sauvageon greffé sur elle, sans que ce sauvageon ait pu lui ôter son nom d'olivier véritable.

8. Si les soldats s'approprièrent ses vêtements, après en avoir fait quatre parts (21), c'est que ses sacrements devaient se répandre dans les quatre parties du monde.

9. S'ils tirèrent au sort, au lieu de la partager entre eux, sa tunique sans couture et d'un seul tissu, depuis le haut jusqu'en bas (22), ce fut pour démontrer clairement que tous, bons ou méchants, peuvent recevoir sans doute les sacrements extérieurs, qui sont comme les vêtements du Christ ; mais que cette foi pure qui produit la perfection de l'unité et qui la produit par la charité qu'a répandue dans nos cœurs le Saint-Esprit qui nous a été donné (23), n'est pas le partage de tous, mais un don spécial, fait comme au hasard, par la grâce secrète de Dieu. Voilà pourquoi Pierre dit à Simon, qui avait reçu le baptême, mais non pas cette grâce : "Il n'y a pour toi ni part, ni sort dans cette foi" (24).

10. Du haut de la croix il reconnut sa Mère et la recommanda au disciple bien-aimé (25) ; c'était au moment où il mourait comme homme, montrer à propos des sentiments humains ; et ce moment n'était pas encore arrivé, quand sur le point de changer l'eau en vin, il avait dit à cette même Mère : "Que nous importe, à moi et à vous ? Mon heure n'est pas encore venue" (26). Aussi n'avait-il pas puisé dans Marie ce qui appartenait à sa divinité, comme en elle il avait puisé ce qui était suspendu à la croix.

11. S'il dit : "J'ai soif", c'est qu'il avait soif de la foi de son peuple ; mais comme "en venant chez lui il n'a pas été reçu par les siens" (27), au lieu du doux breuvage de la foi, ceux-ci lui présentèrent un vinaigre perfide, et le lui présentèrent avec une éponge. Ne ressemblaient-ils pas eux-mêmes à cette éponge, étant, comme elle, enflés sans avoir rien de solide, et, comme elle encore, ne s'ouvrant pas en droite ligne pour professer la foi, mais cachant de noirs desseins dans leurs cœurs aux replis tortueux ? Cette éponge était elle-même entourée d'hysope ; humble plante dont les racines vigoureuses s'attachent, dit-on, fortement à la pierre. C'est qu'il y avait parmi ce peuple des âmes pour qui ce crime devait être un sujet d'humiliation et de repentir. Le Sauveur les connaissait, en acceptant l'hysope avec le vinaigre ; aussi pria-t-il pour elles, au rapport d'un autre Évangéliste, lorsqu'il dit sur la croix : "Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font" (28).

12. En disant : "Tout est consommé, et en rendant l'esprit après avoir incliné la tête" (29), il montra que sa mort n'était pas forcée, mais volontaire, puisqu'il attendait l'accomplissement de tout ce qu'avaient prédit les prophètes relativement à lui. On sait qu'une autre circonstance était prédite aussi dans ces mots : "Et dans ma soif ils m'ont donné à boire du vinaigre" (30). Ainsi montrait-il qu'il possédait, comme il l'avait affirmé lui-même, "le pouvoir de déposer sa vie" (31). De plus il rendit l'esprit avec humilité, c'est-à-dire en baissant la tête, parce qu'il devait le reprendre en relevant la tête à sa résurrection.

Cette mort et cette inclination de tête indiquaient donc en lui une grande puissance ; c'est ce qu'annonçait déjà le patriarche Jacob en bénissant Juda. "Tu es monté, lui dit-il, en t'abaissant ; tu t'es endormi comme un lion" (32) ; c'est que Jésus-Christ devait s'élever en mourant, c'est qu'il avait alors la puissance du lion.

13. Pourquoi les jambes furent-elles rompues aux deux larrons et non pas à lui, qu'on trouva mort ? L’Évangile même l'explique. C'était une preuve qu'au sens prophétique il était bien question de lui dans la Pâque des Juifs, où il était défendu de rompre les os de la victime.

14. Le sang et l'eau qui de son côté, ouvert par une lance, coulèrent à terre, désignent sans aucun doute les sacrements qui servent à former l’Église. C'est ainsi qu'Eve fut formée du côté d'Adam endormi, qui figurait le second Adam.

15. Joseph et Nicodème l'ensevelissent. D'après l'interprétation de plusieurs, Joseph signifie "accru", et beaucoup savent que Nicodème, étant un mot grec, est composé de victoire, nikos, et de peuple, demos. Quel est donc Celui qui s'est accru en mourant, sinon Celui qui a dit : "A moins que le grain de froment ne meure, il reste seul ; mais il se multiplie, s'il meurt" (33) ? Quel est encore Celui qui en mourant a vaincu le peuple persécuteur, sinon celui qui le jugera après s'être ressuscité ? »

1. Jn XIX, 17. — 2. Mt XVI, 24. — 3. Jn XIX, 17-18 - 4. Ps XXXIX, 13. — 5. Jn XIX, 18. — 6. Mt V, 10. — 7. I Co XIII, 3. — 8. Jn XIX, 19. — 9. Ps II, 6. — 10. Ib. 20. - 11. Ps II, 6,7. — 12. Is II, 3. — 13. Ps XLVI, 4. — 14. Rm XV, 27. — 15. Jn XIX, 21. — 16. Mt XXI, 43. — 17. Rm XI, 1,2,17. — 18. Mt VIII, 11. - 19. Jn XIX, 22. — 20. Ps LVI, 1 ; LVII, 2. — 21. Jn XIX, 23. — 22. Ib. 23, 24. — 23. Rm V, 5. — 24. Ac VIII, 21. — 25. Jn XIX, 26,27. — 26. Ib. II, 4. - 27. Jn I, 11. — 28. Lc XVIII, 34. — 29. Jn XIX, 30. — 30. Ps LXVIII, 22. — 31. Jn X, 18. - 32. Gn XLIX, 9. — 33. Jn XII, 24,25.

St Augustin, Sermon CCXVIII pour le Vendredi Saint : Des mystères de la Passion (Jn XIX, 17-42), in "Œuvres complètes" Tome VII, Solennités et Panégyriques, Traduction sous la direction de M. l'abbé Raulx, Bar-Le-Duc, 1866 (Abbaye Saint-Benoît).

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