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Ste Jeanne d'Arc : « Dieu premier servi » - « Le plaisir de Dieu soit faict »

« Pour Jeanne, qui ne fait d'ailleurs qu'utiliser une expression de l'époque, Dieu est Nostre Sire, le Roy (1) ; mais ces expressions, passées dans l'usage et qui ont alors déjà perdu de leur force, retrouvent chez elle toute leur puissance. Elle croit d'une foi absolue à la souveraineté de Dieu ; c'est pour elle une référence constante et la seule motivation de ses actes : « Je m'en actend à mon juge » ; « et à Dieu premier je me rapporte » (2). Elle se demande sans cesse : où est la volonté de Dieu ?
Son évidence depuis toujours est que Dieu veut pour elle l'état de grâce et la fuite du péché. Elle vit en présence de Dieu : « Toujours a Dieu devant la face » (3).
Cette dévotion à l'état de grâce n'était pas fréquente à l'époque et la sainteté se définissait plutôt par les bonnes œuvres, les pénitences ou les prières de style monastique indulgenciées (4). On connaît, au contraire, les mots de Jeanne : « Se elle sçavait qu'elle ne fust en la grâce de Dieu qu'elle seroit la plus dolente du monde » (5).
Le péché n'est d'ailleurs pas d'abord concession à Satan : il n'y a chez elle aucune démonologie ; elle a, en ce domaine notamment, une foi beaucoup plus saine et plus théologale que ses juges. Il est privation de Dieu.
Ce sentiment de la présence de Dieu a été pour Jeanne, en un siècle d'exaspération de la sensibilité religieuse et d'aberrations de la foi chrétienne, un élément d'équilibre et d'épanouissement : la devotio moderna, en organisant les « exercices » de la piété chrétienne, suscitait chez certains scrupule - le mal du siècle - ou tension. Gerson lui-même n'en finit pas de rappeler à ses sœurs leurs divers devoirs moraux ou spirituels (6).
Elle se maintient donc dans un état de parfaite disponibilité : « prendre tout en gré ». Tandis que bientôt l'Imitation, dans son livre I, révélera l'inquiétude de l'âme tourmentée entre Dieu et le monde, Jeanne ressemble déjà au « bon homme paisible », que définira par la suite l'Internelle Consolation, traduction de l'Imitation sans doute, mais à laquelle une nouvelle distribution des livres donne aussi un ton nouveau, celui d'une confiance tranquille (7). Pour cette fille de la campagne, ignorante des effusions mystiques et des ravissements de moniales nourries du Cantique ou de tertiaires familières avec les maîtres de l'oraison, il ne s'agit pas de s'attarder en une contemplation consolée, mais d'« aimer de tout son coeur » (7 bis) le Sire qui lui fait connaître sa volonté. »

Notes

(Q. pour Quicherat, Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d'Arc dite la Pucelle, 5 vol., Paris, 1841-1849 - Téléchargeables au lien ci-dessous indiqué).

1. L'étendard de Jeanne portait l'inscription « De par le Roy du ciel » (Père Hilaire de Barenton, Jeanne d'Arc, son tertiairat, son étendard et l'ouvrage de M. Adrien Harmand, dans Etudes franciscaines, t. 43, 1931, p.675 et suiv.).

2. Q., I., p.376 Ibid., p.444.

3. Christine de Pisan citée par Marius Sepet, Jeanne d'Arc, 3e édit., Tours, 1891, p.540.

4. On s'en rend très bien compte à voir de quelle façon les témoins au procès de réhabilitation parlent de Jeanne : par exemple Béatrice la dit la meilleure des filles de Domrémy et de Greux, car elle était chaste, réservée, fréquentant les églises, allant souvent à la messe, se confessant fréquemment (Q., II, p.395). On pourrait faire des remarques analogues au sujet des parents de Jeanne : l'enquête à Domrémy (ibid, p.378) demandait : si parentes erant boni catholici ; les réponses montrent que cette notion de bonus catholicus est entendue dans un sens plus canonique que spirituel.

5. P. Doncoeur, La minute, p.105. Texte d'autant plus impressionnant qu'on se rappellera que Jeanne ne distinguait pas péché mortel et péché véniel (Q., II, p.37).

6. On se rappelle que Gerson a envoyé successivement à ses sœurs Sept enseignements, Neuf considérations, Onze ordonnances (Revue des sciences religieuses, t. XIV, 1934, p.191-218). Quand il leur apprend à méditer, il leur explique que le don de crainte est associé à la béatitude de l'humilité, défend l'âme contre les attaques de l'orgueil et appelle la prière Libera nos a malo (Opera Omnia, III, c. 602 et suiv.).

7. Michelet a peut-être été le premier dans sa Jeanne d'Arc, au chapitre I du livre II, à rapprocher Jeanne et l'Imitation et à comparer pour celle-ci la version latine et la traduction ; si son ignorance de la théologie et de la vie spirituelle vouèrent son interprétation à des contre-sens, on ne saurait méconnaître la pénétration de certaines intuitions. Toujours est-il qu'une étude comparative de l'Imitation et de l'Internelle Consolacion révèle une évolution du sentiment religieux : « Comment ce livre de solitude devient-il un livre populaire ? Comment en parlant recueillement monastique, a-t-il pu contribuer à rendre au genre humain le mouvement et l'action ? C'est qu'au moment suprême le grand livre sortit de sa solitude, de sa langue de prêtre et il évoqua le peuple dans la langue du peuple même... La Consolacion est un livre pratique et pour le peuple... L'Imitation, dans la disposition générale de ses quatre livres suit une sorte d'échelle ascendante... La Consolacion part du second degré... (et) finit par où l'Imitation a commencé ».
Que l'on compare en tout cas les premiers chapitres de l'Imitation par exemple I, 3 : Vanitas vanitatum et omnia vanitas ; 5 : stude ergo cor tuum ab amore visibilium abstrahere - aux premières pages de la Consolacion : « Frequente visitacion avec l'omme internel, doulce sermocinacion, agréable consolacion, moult de paix et familiarité trop esmervueillable » (chap. I) ; « Ne te chaille gueres qui soit pour toy ou contre toy, mais fay et cure qu'en toutes choses que tu fais que Dieu soit avec toy. Ayez bonne conscience et Dieu te deffendra bien ; ... Dieu deffend l'umble personne » (chap. II) ; « Le bon homme paisible convertist en bien toutes choses » : voilà Jeanne d'Arc.

7 bis. Q., I, p.385.


Etienne Delaruelle, La spiritualité de Jeanne d'Arc (III, p.375-377), in "Bulletin de Littérature Ecclésiastique", publié par l'Institut Catholique de Toulouse, LXV - 1964.

Source, intégralité des textes des Procès de condamnation et de réhabilitation (latin et français), et très nombreux documents d'études johanniques ICI.

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