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Je n'ai pas de chemin, je n'ai pas de demeure
Hors de Toi...
Et tes saints ont raison pourtant. Il faut les croire.
Ils font bien
De me chasser de leur royaume et de leur gloire
Comme un chien.
Leur royaume... Est-ce là ce qui me fait envie ?
O mon Dieu,
Tu sais bien qu'il suffit d'un peu d'ombre à ma vie,
Rien qu'un peu.
Que je n'ai pas besoin de gloire et presque même
Pas besoin
De leur bonheur trop grand pour moi pourvu que j'aime
Dans un coin.
Qu'on les loue à jamais, qu'à jamais on m'oublie,
A jamais,
Puisqu'il faut que ta verge à leurs yeux m'humilie,
Seigneur, fais !
Je n'ai pas mérité de fixer ma prunelle
Sur leurs cieux !
Soit ! Éteins à jamais la lumière éternelle
Dans mes yeux.
Je n'ai pas mérité d'entendre leur cantique :
A jamais,
Soit ! jette sur mes sens un silence hermétique,
Noir, épais.
Mais dans ton sein garde mon cœur à tout le monde
Bien caché,
Comme un petit oiseau qui dans ta main profonde
S'est niché.
Un grésil à tes pieds tombé de quelque globe,
Un fétu,
Un duvet que le vent dans un pli de ta robe
A perdu.
Je ferai si peu d'ombre, ô Dieu, dans ta lumière
Que bien sûr
Les saints ne me verront pas plus qu'une poussière
Dans l'azur.
Mais Toi qui me verras en Toi comme une tache,
Nuit et jour,
Si j'offense ta vue, à son refuge arrache
Mon amour.
Écarte-moi du pied ou plutôt sur mon âme
Peu à peu
Efface mon péché. N'as-tu pas de la flamme
Et du feu ?
Appelle la douleur, Dis un mot, Fais un geste,
Seigneur, fais !
Fais-moi souffrir, nettoie en moi tout ce qui reste
De mauvais.
Vite, ne laisse rien en moi qui te déplaise,
O mon Roi !
Fais-moi vite souffrir mais viens dans la fournaise
Avec moi. »
Marie Noël (1883-1967), Les Chansons et les Heures (Vision, IV, strophes finales),
Paris, Éditions G. Crès et Cie, 1928.