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  • Conte de Noël

    "Celui de Noël"

    I.
    Depuis deux longs jours, une neige épaisse
    Implacablement descendait sans cesse,
    En flocons serrés, du ciel morne et blanc ;
    Les petits oiseaux voletaient, piaulant,
    Ayant faim, perdus dans la plaine immense
    Et transis, gelés, les membres perclus,
    S’effaraient, ne s’y reconnaissant plus.
    Il faisait très froid. – Nul bruit. – Un silence
    Énorme de mort. – Et l’on aurait dit
    Que tout le hameau dormait engourdi.

    II.
    Au bout du pays, presque à la lisière
    D’un grand bois sauvage, en un chemin creux,
    Dans une vilaine et triste chaumière,
    Vivait un bonhomme infirme, très vieux
    Et très pauvre, avec sa petite Yvette,
    Une toute frêle et douce fillette
    D’à peine dix ans. – Il ne travaillait
    Presque plus, trop faible. - Et dans sa détresse
    Le piteux logis sous la neige épaisse,
    Semblait tout honteux, se dissimulait.

    III.
    Or c’était Noël. Tout au soir, la veille,
    La mignonne Yvette, entendant conter
    Sur cette nuit là d’étranges merveilles,
    S’en était allée en secret porter
    L’un de ses souliers – oh ! de cheminée
    On n’en avait pas – dehors, sous l’auvent.
    Elle s’était dit qu’en l’apercevant
    Le petit Jésus, faisant sa tournée
    Avec des joujoux très beaux pleins les bras,
    Très probablement ne l’oublierait pas.

    IV.
    Et quand il fit jour, un peu, la fillette
    Se leva sans bruit et vite alla voir…
    Or dans le soulier, étroite cachette,
    Un chardonneret, tout troublé, le soir,
    S’y étant blotti, dormait. - Douce et bonne,
    Elle prit l’oiseau dans sa main mignonne
    Et le réchauffa – puis vint lui jeter
    Un peu de pain blanc, joyeuse et ravie
    De voir le pauvret renaître à la vie
    Et tout rassuré, se mettre à chanter.

    V.
    Lors, en le voyant plein de confiance,
    La petite en eut un bonheur immense
    Et comprit : pour sûr, c’était le présent
    Que Jésus avait bien voulu lui faire…
    Pourquoi pas ?… Dieu garde à toute misère,
    À toute souffrance un baume puissant,
    Une joie au moins, bonne et consolante,
    Celle d’alléger quelque autre douleur,
    Quelque autre infortune encor plus navrante…
    C’est si doux d’aimer et d’avoir bon cœur !

    René Véber, Contes pour la Beauvaisienne, Première Série, Beauvais, 1896.

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  • Conte de Noël

    Elles s’en vont, Ninon, Ninette, Nina, jupette rouge et bonnet pareil, six petits sabots claquant sur la terre gelée.

    « Vite, vite, les sœurettes, car le jour baisse, dit Ninette, la plus sage.

    – Vite, vite, répond Ninon, la plus ardente, car un grand travail nous attend.

    – Vite, vite, murmure Nina, la plus douce, car Mère a dit qu’on ne s’attarde pas. »

    Et les six petits sabots martèlent en chœur : « Vite, vite, vite, vite, les petites sœurs. »

    Mais que c’est donc lourd, tout ce qu’elles portent, les sœurettes !… Et encombrant, donc !… Elles en ont plein les poches, et plein le giron, dans les mains, dans les bras et jusque sous le menton… Il y a du gui, de la mousse, du houx, du lierre, de la paille, du foin et du sapin… À peine voit-on, dans toute cette verdure, trois frimousses rondes et rouges comme des pommes d’api, éclairées de blanches quenottes et de petits yeux de souris…

    « Elle sera belle, notre crèche…

    – Et grande, donc… avec un toit de paille craquante… et des nids de mousse dans le rocher ; un grand sapin derrière, une touffe de houx sur le côté, du lierre qui grimpe jusqu’au toit…

    – Et puis un râtelier de carton pour l’âne de saint Joseph et le gros bœuf rouge et blanc…

    – Ce sera beau !…

    – Ce sera grand !…

    – Jésus sera bien !… »

    Sur les lèvres mouillées, trois sourires s’accentuent ; et les petits yeux noirs arrêtent un instant leur danse scintillante pour fixer leur rêve…

    « Hâtons-nous, voyons, petites sœurs !… »

    Or, les petits sabots, las de tout ce chemin – clac… clac… clac… – les petits sabots traînent un peu : les sœurettes sont fatiguées… Elles se sont donné tant de mal pour trouver toutes ces choses l’une après l’autre… Mais quel triomphe et quelle joie de les rapporter ce soir… Clac, clac, clac, les petits sabots en reprennent de l’ardeur, et les menottes avides serrent un peu plus ces trésors sur les cœurs.
     
    *     *     *
     
    « S’il vous plaît, mes petites filles, le chemin de la chapelle Saint-Loup ? »

    Une femme est devant elles, un peu courbée sous la grande cape noire qu’elle tient bien close.

    « La chapelle Saint-Loup ?… Par là !… » lance Ninon distraitement, avec un geste de la tête pour montrer le grand chêne et tout ce coin-là…

    Elle est déjà passée. Elle n’a même pas regardé la femme : elle ne songe qu’à la crèche qu’elle veut faire « plus belle que celle des autres ». Comment donc entendrait-elle l’humble requête de la dame : « Ne sauriez-vous, enfants, me conduire jusque là ? »

    Ninette aussi est passée ; mais elle entend encore et se retourne à demi :

    « C’est impossible, ma pauvre dame : il nous faut rentrer avant la nuit ; et puis nous sommes chargées… et lasses donc… Nous avons couru bien loin pour chercher de quoi faire notre crèche, voyez-vous… et ce soir, il nous faut l’arranger, car cette nuit, c’est Noël, vous savez.

    – Je sais… murmure l’inconnue, je sais… Mais je suis si lasse, moi aussi… et je ne connais pas le chemin. »

    Ninette veut bien être polie, mais elle songe à sa crèche et s’impatiente : cette femme, après tout, elle est embêtante…

    « Si j’avais le temps, je ne demanderais pas mieux, Madame ; mais ce soir, je vous le dis, c’est impossible. »

    Là-dessus, tournant les talons, sans même la regarder, Ninette l’abandonne et court pour rattraper Ninon : il faut bien qu’elles fassent leur crèche, voyons…

    Nina, elle, a levé ses beaux yeux pour chercher ceux de la dame ; et elle a vu qu’ils étaient clos…

    « Oh, pauvre dame, vous n’y voyez plus ! murmure-t-elle avec comp­assion, je vais vous conduire. »

    Le visage de l’inconnue se détend.

    « Merci ! » dit-elle doucement.

    Et elle allonge la main pour chercher à tâtons celle de l’enfant. Alors, Nina-la-plus-douce abandonne sur le chemin tous les trésors qu’elle serrait farouchement sur son cœur et conduit l’aveugle à pas précautionneux, veillant à lui signaler ornières et cailloux.

    « Tes sœurs vont faire la crèche sans toi !… N’as-tu nul regret, mignonne ? »

    Une ombre éteint le regard de Nina : elle s’était promis tant de bonheur à faire cette crèche !… Elle voyait déjà où on mettrait la mousse et le houx, et ce petit creux de rocher où glisserait un brin de lierre… Elle voyait si bien !… Elle se promettait tant de plaisir !… Et puis, voilà !… cette femme était passée…

    Mais avant de répondre elle secoue sa petite tête pour la délivrer de cette amertume :

    « Chut !… dit-elle en souriant, je ne me le suis pas encore demandé, car Maman dit qu’il faut d’abord faire son devoir, et chercher seulement après si cela vous accommode…

    Un radieux sourire éclaire le visage de l’aveugle. Cependant, elle se tait et Nina peut lui dire en confidence :

    « Je garde précieusement deux pervenches trouvées à l’abri d’une haie : j’apporterai tout de même quelque chose à la crèche… »

    Mais elle n’achève point ; elle ne dit pas que ces deux fleurs, écloses malgré l’hiver, sont précieuses à ses yeux d’enfant comme une terre nouvelle aux yeux de qui la découvre. Elle n’a point le temps de dire ces choses-là, car elle a vu, soudain, l’inconnue ployer sous le poids mystérieux du fardeau qu’elle tient caché sous sa mante…

    « Donnez, Madame ; confiez-moi votre charge… »

    La Dame s’est arrêtée :

    « Saurais-tu le porter, mignonne ?

    Ah ! je suis petite, mais mes bras sont solides. Et puis, ajoute-t-elle avec un léger soupir, s’il le faut, je laisserai bien aussi mes deux pervenches afin d’avoir mes deux mains libres pour vous aider… »

    Déjà la délicieuse petite fille tend ses deux mains vides, et l’inconnue, doucement, écarte son vêtement… Ses yeux s’ouvrent… son regard tendrement posé sur l’enfant diffuse une lumière caressante…

    « Noël !… Noël !… » chantent en sourdine les anges, mystérieusement venus des quatre coins de l’horizon.

    Et, des mains de la Vierge, Nina reçoit l’Enfant-Jésus dans ses bras…

    … Le doux Petit Jésus qui sourit et tient dans ses doigts les deux pervenches de Nina.

    Rose Dardennes

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