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simone weil

  • Méditation - fatigue, tristesse, dégoût, ennui...

    « Simone Weil souligne souvent, dans ses notes intimes, la présence conjuguée de la fatigue et du dégoût, des ennemis presque invincibles qui avancent de front et qui semblent tout ronger sur leur passage. Sans pouvoir attaquer de plein fouet, elle propose plutôt dans ses Cahiers, à la suite de Pascal quant aux maladies, de faire un bon usage de la fatigue et du dégoût :
    « L'extrême difficulté que j'éprouve souvent à exécuter la moindre action est une faveur qui m'est faite. Car ainsi, avec des actions ordinaires, et sans attirer l'attention, je peux couper les racines de l'arbre [...] Trouver une difficulté extraordinaire à faire une action ordinaire est une faveur dont il faut être reconnaissant. Il ne faut pas demander la disparition de cette difficulté. Il faut désirer ardemment, il faut implorer la grâce d'en faire usage. »
    D'une certaine façon, cette douleur du vide, de l'ennui, de l'amertume est un lieu de perte, de déréliction, de pesanteur qui peut préparer un chemin vers la grâce. Faire face à l'insoutenable, c'est mener l'éternel combat du patriarche Jacob contre l'Inconnu qui ne se révèlera qu'à la fin. Ainsi s'établit une imitation du Christ, sachant que c'est Lui qui cherche et qui, en définitive, est vraiment fatigué et triste, triste à en mourir et fatigué près du puits de ce même Jacob. [...] L'ennui et la fatigue peuvent devenir des auxiliaires pour un accroissement de la vie spirituelle. Jusqu'à atteindre ce point extrême que Simone Weil définit ainsi :
    « Ce n'est pas à moi à aimer Dieu. Que Dieu s'aime à travers moi. »
    [...]
    Le pèlerin de saint Jacques de Compostelle, aujourd'hui encore, s'il accomplit la route dans les règles du dépouillement, mais plus encore bien sûr au Moyen Âge où les dangers étaient multiples, découvre à quel point le chemin est revêtu d'ennui et qu'il n'est pas avare que d'une chose : la fatigue. Chaque matin, après une mauvaise nuit sous les étoiles, il faut reprendre sans entrain et avec dégoût, malgré les douleurs, ce qui a été entrepris dans l'enthousiasme du premier jour. Ce seront les tours jumelles de la cathédrale où repose l'Apôtre qui, soudain, révèleront que l'ennui et la fatigue donnent à la joie sa chair. A cet instant où le regard aperçoit la ville sainte, l'ennui et la fatigue se transforment, retournés comme des gants de peau. Ils ne sont pas oubliés mais ils apparaissent pour ce qu'ils sont vraiment : les introducteurs de la joie. Maintenant à distance, ils revêtent leur noblesse après n'avoir été que vauriens et manants. Certes, un tel effort de marche, au-delà de la peine, de la douleur, est libre. Pourtant, c'est un peu comme un bœuf attelé à la charrue que le pèlerin a mis un pas devant l'autre sans se lasser tout en pestant contre les éléments, contre lui-même, contre le monde tout entier. En fait, il est livré à cet effort, à cette fatigue. »

    Père Jean-François Thomas, s.j., Comme un lys au milieu des épines (ch. VII : L'ennui et la fatigue), Via Romana, Versailles, 2014.

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    (Photographie prise à Petra, en Jordanie)

  • Méditation : Aimer en Dieu

    « L'amour du prochain est l'amour qui descend de Dieu vers l'homme. Il est antérieur à celui qui monte de l'homme vers Dieu. Dieu a hâte de descendre vers les malheureux. Dès qu'une âme est disposée au consentement, fût-elle la dernière, la plus misérable, la plus difforme, Dieu se précipite en elle pour pouvoir, à travers elle, regarder, écouter les malheureux. Avec le temps seulement elle prend connaissance de cette présence. Mais ne trouverait-elle pas de nom pour la nommer, partout où les malheureux sont aimés pour eux-mêmes, Dieu est présent.
    Dieu n'est pas présent, même s'il est invoqué, là où les malheureux sont simplement une occasion de faire le bien, même s'ils sont aimés à ce titre. Car alors ils sont dans leur rôle naturel, dans leur rôle de matière, de chose. Ils sont aimés impersonnellement. Il faut leur porter, dans leur état inerte, anonyme, un amour personnel.
    C'est pourquoi des expressions comme aimer le prochain en Dieu, pour Dieu, sont des expressions trompeuses et équivoques. Un homme n'a pas de trop de son pouvoir d'attention pour être capable simplement de regarder ce peu de chair inerte et sans vêtements au bord de la route. Ce n'est pas le moment de tourner la pensée vers Dieu. Comme il y a des moments où il faut penser à Dieu en oubliant toutes les créatures sans exception, il y a des moments où en regardant les créatures il ne faut pas penser explicitement au Créateur. Dans ces moments la présence de Dieu en nous a pour condition un secret si profond qu'elle soit un secret même pour nous. il y a des moments où penser à Dieu nous sépare de lui. La pudeur est la condition de l'union nuptiale.
    Dans l'amour vrai, ce n'est pas nous qui aimons les malheureux en Dieu, c'est Dieu en nous qui aime les malheureux. Quand nous sommes dans le malheur, c'est Dieu en nous qui aime ceux qui nous veulent du bien. La compassion et la gratitude descendent de Dieu, et quand elles s'échangent en un regard, Dieu est présent au point où les regards se rencontrent. Le malheureux et l'autre s'aiment à partir de Dieu, à travers Dieu, mais non pas pour l'amour de Dieu ; ils s'aiment pour l'amour l'un de l'autre. Cela est quelque chose d'impossible. C'est pourquoi cela ne s'opère que par Dieu. »

    Simone Weil (1909-1943), Attente de Dieu, Paris, La Colombe, 1950.

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