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Les choses d'En-Haut

Les choses d'En-Haut
  • Éditeur : Salvator
  • Année : 2015
  • Si "Port-Royal" n’évoque plus pour de nombreux parisiens qu'une station de métro, il est pour tout curieux de l'histoire religieuse de notre pays un lieu de foisonnement spirituel qui déclencha d'âpres controverses, et marqua de son empreinte les XVIIe et XVIIIe siècles. Dès sa destruction en 1711, ce site en vallée de Chevreuse devint un lieu de pèlerinage et de mémoire. Il a été classé aux monuments historiques dans les années 1940, et son classement définitif au titre des sites protégés a été voté en 1972.

    Il est impossible de résumer ici la longue et intense aventure de Port-royal, et encore moins l'intensité des luttes qui opposèrent jansénistes et jésuites bien au-delà de la destruction des bâtiments de l'abbaye. Je renvoie le lecteur aux nombreux livres sur le sujet, ou à l'annexe 2 de notre recueil sur la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus ("Port-Royal et le Jansénisme") : http://www.spiritualite-chretienne.com/s_coeur/annexe_b.html

    Rappelons brièvement ici quelques points essentiels. Lorsqu'Angélique Arnauld entreprend en 1608 de réformer l'abbaye de Port Royal, fondée en 1204, elle lui imprime par la "règle de stricte observance" un retour à un esprit de rigueur et d'austérité qui en avaient totalement disparu. Dirigées par l'abbé de Saint-Cyran, qui y prêche la doctrine de son ami Jansenius (Cornelius Jansen), les religieuses s'appuient à compter de 1640 sur les thèses défendues par ce dernier dans l’"Augustinus" ; l'auteur approfondit dans son analyse de l’œuvre de St Augustin les propositions développées par Michel de Bay (Baïus) en 1560 relatives au péché originel, à la doctrine de la justification et à la grâce, propositions déjà condamnées par Pie V en 1567. En 1642 Urbain VIII condamne l'Augustinus. Dans le courant de pensée de ceux que l'on appelle désormais les "jansénistes" (du nom de Cornelius Jansen), suivent en 1643 la publication du traité "De la fréquente communion" d’Antoine Arnauld, puis son pamphlet sur la "Théologie morale des Jésuites", en lequel il reprend des extraits d'œuvres d'auteurs de la Compagnie de Jésus, pour prouver le laxisme de leur morale. La lutte qui s'ouvre alors va se prolonger jusqu'au XIXe siècle, opposant farouchement l'exigence spirituelle et le "rigorisme élitiste" des jansénistes, aux fastes de ce monde et à la "morale relâchée" des jésuites, et le développement de la dévotion au Sacré Coeur de Jésus deviendra le nouvel objet de ces oppositions doctrinales et théologiques.

    Si ces querelles semblent lointaines, elles se révèlent encore vivaces si l'on aborde aujourd'hui l'histoire de Port-Royal. Tout écrit relatif ce sujet intègre encore une part de subjectivité, selon que l'auteur se place du côté des partisans des doctrines défendues par les jansénistes ou aux côtés de ceux qui réfutèrent ces propositions, comme trahissant la pensée de St Augustin, notamment sur la question de la prédestination, de la doctrine de la grâce et du libre-arbitre. L'abbaye est aussi devenu le symbole idéalisé d'une certaine liberté religieuse, régulièrement revisité par les écrivains contemporains, tels Julien Green, Gabriel Matzneff, Claude Pujade-Renaut (Le désert de la grâce) ou tout récemment Laurence Plazenet (Port-Royal, une anthologie) qui compare Port-Royal à un "flambeau spirituel".

    L'ouvrage d'Hélène Raveau s'inscrit dans cette optique. Sa vision reste dans la lignée de Sainte-Beuve (1804-1869) qu'elle cite en son avant-propos, lui qui fit de l'abbaye, dans son "Port-Royal" en 5 volumes publiés entre 1840 et 1859, un lieu mythique, "composé d’intellectuels brillants et de religieuses exaltées mais pures". Éludant les aspects dérangeants ou controversés du jansénisme, Hélène Raveau ne retient que la mystique "virile" qui anima les religieuses de l'abbaye, et propose dans son livre un remarquable voyage en aller retour entre les XVIIe et XXIe siècles, où elle imagine une renaissance de Port Royal sous l'impulsion d’un groupe de jeunes filles qui veulent réaffirmer l’Absolu des « choses d’en haut ». « On avait perdu la mémoire, en France, de ces fermetés d'âme » écrit-elle.

    L'absolutisme du laïcisme érigé en religion nouvelle, autant que les échecs patents du modernisme dans l’Église, y sont pointés avec acuité, tandis que se déroule en parallèle la destruction du Port-Royal historique et sa renaissance en un siècle où le christianisme semble s'être dilué dans le relativisme ambiant. « Madame, aucune abbaye ne sera reconstruite. - Monsieur, qu'est-ce donc qui vous fait si peur ? » Les manifestations et les actes antichrétiens, toujours plus nombreux de nos jours, autant que le conformisme religieux, y sont également dénoncés, en de courts et saisissants paragraphes. « Au Théâtre de la Ville, pendant tout une saison, on lance des excréments contre le visage du Christ. La salle applaudit les CRS venus vider quelques récalcitrants. On se regarde applaudir. Toute une génération de héros s'admire et s'encourage. Quel combat ! Quelle hardiesse ! Quel risque ! » L'affadissement de la vérité évangélique ("Je suis la Voie, la Vérité, la Vie"), passée au tamis du dialogue inter-religieux, y est vigoureusement condamnée, en même temps que l'amour du Christ pour toutes les âmes y est douloureusement rappelé. « Notre monde est plein de reliques de Sa présence : ne serait-ce que dans notre cœur, où c'est Lui qui nous attend, et non l'idole du Moi. »

    Nous sommes à mille lieu ici des pompeuses démonstrations de la désintégration du religieux en France, ou des incantations pontifiantes circulant aujourd'hui tendant à mettre en garde notre pays contre la perte du sacré. Pas d'alarmisme, pas de catastrophisme. Bien plus efficace est le chemin choisi par l'auteur, parsemé de poésie, qui peint à petites touches les pans de notre histoire et leurs échos passés (« Avec Saint Bernard, la France s'était couverte d'un blanc manteau d'églises »), et fait revivre en courts paragraphes les silhouettes de Pascal, Racine, Angélique Arnauld, ou Philippe de Champaigne... La concision est de mise, le propos toujours juste, le verbe choisi. Récit tout en nuances de cette résurrection de Port-Royal, où souffle le grand vent de l'espérance. Ce premier roman d'Hélène Raveau, dont elle écrit qu'il est « né d'une rêverie et rêverie lui-même », est incontestablement une vraie réussite. Son invitation à partager son rêve est un régal pour l'intelligence et l'esprit, et l'on se laisse volontiers entraîner dans l'aventure de ces jeunes femmes qui ne désirent que de « vivre pour Dieu ». Profondément juste, soigneusement ciselé, c'est un petit livre puissant et revigorant !

    Hélène Raveau vit et travaille à Vincennes, où elle enseigne la littérature dans un lycée. Gérard Fereyrolles qui signe la préface est professeur à l’université Sorbonne Paris IV et spécialiste de la littérature du XVIIe.

    Salvator - 160 pages - 13 x 20cm - 13,90 €
  • Note : 10/10

Les choses d'En-Haut, par Hélène Raveau

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