La Sainte Passion du Christ
« Qu’Avril de ses bourgeons Lui fasse une couronne !
Pour les foules il a fait un tapis d’herbe : elles ont mangé tout leur saoul.
Merveille que cette bombance sur une autre bombance étendue !
L’Avril visible à l’invisible a fait un beau décor !
Les victoires aux fleurs se mêlent,
Et les lis des champs, dans toute leur splendeur,
Aux signes éclatants que fait Notre-Seigneur.
Refrain :
En Avril ils ont tué
L’Agneau et L’ont mangé,
L’Agneau de Dieu qui vit
Et qui donne la Vie !
Avril avait commencé : il a conclu, il a fini ;
De ses fleurs il a couronné le Peuple indigne
Qui mangeait et prisait plus que tout un agneau transitoire ;
Au lieu d’herbes amères, ce sont épines qu’ils ont glanés, ces égarés,
Pour tourner en dérision l’Agneau véritable,
Pour couronner le Roi dans une comédie
Et pour tuer le Juste ; oh ! quelle vilenie !
Que Moïse des justes T’offre la couronne,
Lui qui tressa aussi les ossements des justes, rassemblés ;
Au tonnerre de Ta voix, les fleurs s’ouvrirent, s’épanouirent !
Au mois d’Avril, ce fut un vrai printemps en Enfer !
Le visage des morts s’est éclairé,
Leurs os tout desséchés, les voilà mis en liesse,
Et leur grâce fanée, la voilà qui rayonne !
Le soleil en pleines ténèbres T’a fait belle couronne !
En se retirant il l’a tressée, en trois heures il l’a achevée,
Pour couronner les trois jours de Sa mort ;
Il a proclamé qu’avec la Mort Il avait maille à partir ;
Parce que sur la croix tout homme à la Mort succombe,
Il a saisi la croix et par elle a vaincu la Mort,
Comme périt Goliath, tué par sa propre épée.
De Lui le soleil proclame qu’Il est invisible et visible,
Que Son corps s’est habillé de souffrance, Sa Nature étant impassible ;
Selon Son corps Il a pâti, selon Sa Force Il a relui.
Ô soleil visible, de l’Invisible endeuillé !
Ô luminaire, de la Lumière tout marri !
Consolé, il s’est levé, nous a consolés,
Car du tombeau Lui s’est levé pour Son Église.
Le soleil s’est caché là-haut, la lune tout en bas,
Et les justes ont fui de tous côtés vers un refuge, un abri ;
Le soleil correspond aux anges, la lune aux ensevelis ;
Au milieu, les imposteurs déboussolés, meurtriers de leur Seigneur.
Le soleil a paru, comme les anges envoyés ;
La lune s’est levée avec les morts réveillés :
Au piège, au beau milieu, les crucifieurs sont pris !
Que l’Orient de sa droite Lui offre une couronne
Tressée avec les symboles et les figures de l’Arche,
Des fleurs que sur les Monts Qardu il a cueillies !
Car c’est de là que viennent Noé, Sem et le Chef du monde,
De là Abraham au grand nom,
Et les Mages bénis, et puis l’Étoile encore,
Et puis son glorieux voisin, le Paradis !
Que l’Occident Lui offre deux couronnes magnifiques
Dont le parfum s’en va en tout point cardinal,
L’Occident où les deux Luminaires ont sombré !
Les deux Apôtres ensevelis là-bas continuent de darder
Leurs rayons qui jamais n’ont connu de couchant :
Le soleil ? Voilà que Simon le surpasse,
Tandis que par l’Apôtre la lune est éclipsée !
Que du Parân le Sud Lui offre une couronne !
Il a bourgeonné, il a fleuri de fleurs hébraïques !
La redoutable Loi jamais accomplie par quiconque
Est la couronne de Notre-Seigneur : Il l’a accomplie, Lui, bouclée.
En prenant de l’âge, elle s’est calmée, assoupie,
Et c’est en témoignage seulement qu’on la cite,
Cette aïeule fourbue entrée en son repos.
Le Nord était trop dur et sa terre sans fleurs…
Rien que neiges et glaces, rien que violentes bises ;
(les aquilons figurent le paganisme grec.)
Mais voilà que de fleurs nouvelles il offre une couronne
Au Soleil de l’Amour qui l’a rendu fécond !
Voilà qu’exultent chez lui les ossements des martyrs,
Que les vierges en fleur, radieuses, s’épanouissent !
L’En Haut, l’En Bas, Seigneur, Te couronnent eux aussi :
Voilà les six Côtés qui T’offrent leurs guirlandes,
Puisque le sixième jour on T’a tressé une couronne d’épines.
Qu’ils Te couronnent, et Ton Père par Toi !
Le corps d’Adam par Toi triomphait :
Grande humiliation lorsqu’il fut vaincu !
Sa dette, sous les fleurs Tu l’as ensevelie.
Au Né du Sixième Âge, merci de tous côtés !
Parfait, le nombre Six : il n’est rien qui lui manque ;
Couronne en la main droite : tel est le nombre Cent.
En guise de couronne, notre droite offre des hymnes !
De sénestre, par son symbole, sauve-nous,
Et par ce qu’il représente conduis-nous à la Dextre,
Là où le nombre Cent en guirlande est tressé ! »
Saint Ephrem, Hymne VII sur la Passion, SC 459, Cerf, 2011.