« Il est certain que, dans les vues de Dieu, les fautes où il permet que nous tombions doivent servir à notre sanctification, et qu'il ne tient qu'à nous d'en tirer cet avantage. Il arrive néanmoins, au contraire, que nos fautes nous nuisent, moins par elles-mêmes que par le mauvais usage que nous en faisons.
Les personnes pour qui j'écris ceci, sont uniquement celles qui sont déterminées à ne commettre délibérément aucune faute, et à qui pourtant il en échappe beaucoup, nonobstant leur résolution, par premier mouvement, par inadvertance, par faiblesse.
Il leur arrive, d'ordinaire, de s'étonner de leurs fautes, de s'en troubler, d'en avoir une mauvaise honte, de se laisser aller au dépit et au découragement. Ce sont là autant d'effets de l'amour-propre, effets plus pernicieux que ne le sont les fautes mêmes. On s'étonne d'être tombé, on a grand tort, et c'est une marque qu'on ne se connaît guère. On devrait, au contraire, être surpris de ne pas tomber plus souvent et en des fautes plus graves, et rendre grâces à Dieu des chutes dont il nous préserve. On se trouble chaque fois qu'on se surprend dans quelque faute ; on en perd la paix intérieure ; on est tout agité, et l'on s'en occupe des heures, des journées même entières. Il ne faut jamais se troubler ; mais, quand on se voit à terre, il faut se relever tranquillement, se retourner vers Dieu avec amour, lui demander pardon, et ne plus penser à ce qui est arrivé que quand il faudra s'en accuser. [...]
Saint Paul a dit que tout tourne au bien de ceux qui aiment Dieu. Oui, tout tourne à leur bien, même leurs fautes, et quelquefois des fautes très graves. Dieu permet ces fautes pour nous guérir d'une vaine présomption, pour nous apprendre ce que nous sommes et de quoi nous sommes capables. [...]
C'est une remarque faites par les maîtres de la vie spirituelle, que souvent Dieu laisse aux âmes les plus saintes certains défauts, dont, malgré tous leurs efforts, elles ne parviennent point à se corriger, pour leur faire sentir leur faiblesse, et ce qu'elles seraient sans la grâce ; pour empêcher qu'elles ne s'enorgueillissent des faveurs qu'il leur fait, pour les disposer à les recevoir avec plus d'humilité ; en un mot, pour entretenir en elles une certaine déplaisance d'elles-mêmes, et les soustraire aux pièges de l'amour-propre ; pour soutenir leur ferveur, pour les maintenir dans la vigilance, dans la confiance en Dieu, et le recours continuel à la prière. L'enfant qui tombe, lorsqu'il s'écarte un peu de sa mère, et qu'il veut marcher seul, revient à elle avec plus de tendresse, pour être guéri du mal qu'il s'est fait, et il apprend, par sa chute, à ne la plus quitter. L'expérience de sa faiblesse et de la bonté avec laquelle sa mère le reçoit, lui inspire plus d'attachement pour elle. [...]
Dieu est un grand maître ; laissons-le faire, il ne manquera pas son œuvre. Proposons-nous d'éviter avec soin tout ce qui peut lui déplaire le moins du monde. Mais quand nous serons tombés dans quelque faute, soyons-en fâchés par rapport à lui, et non par rapport à nous ; aimons l'abjection qui nous revient de cette faute ; prions Dieu qu'il en tire notre humiliation et sa gloire ; il le fera, et il nous avancera plus par ce moyen que par une vie régulière et plus sainte en apparence, qui serait moins efficace pour la destruction de l'amour-propre. »
P. Jean-Nicolas Grou s.j. (1731-1803), Manuel des âmes intérieures (Du profit qu'on doit tirer de ses fautes), L. Grandmont-Donders, Liège, 1851 (Lecoffre, 1853 - Périsse, 1844 - Meyer, 1833).