« A la France d'aujourd'hui qui l'interroge, la France d'autrefois va répondre en donnant à cette hérédité son vrai nom : la vocation. Car les peuples, comme les individus, ont aussi leur vocation providentielle ; comme les individus, ils sont prospères ou misérables, ils rayonnent ou demeurent obscurément stériles, selon qu'ils sont dociles ou rebelles à leur vocation. [...]
Soyez fidèles à votre traditionnelle vocation ! Jamais heure n'a été plus grave pour vous en imposer les devoirs, jamais heure plus belle pour y répondre. Ne laissez pas passer l'heure, ne laissez pas s'étioler des dons que Dieu a adaptés à la mission qu'Il vous confie ; ne les gaspillez pas, ne les profanez pas au service de quelque autre idéal trompeur, inconsistant ou moins noble et moins digne de vous ! [...]
« Mes frères, aimez ! Amate, fratres ! »
Tout ce monde qui s’agite au dehors, et dont le flot, comme celui d’une mer déchaînée, vient battre incessamment de son écume de discordes et de haine les rives tranquilles de cette cité, de cette île consacrée à la Reine de la paix, Mère du bel amour ; ce monde-là, comment trouvera-t-il jamais le calme, la guérison, le salut, si vous-mêmes, qui, par une grâce toute gratuite, jouissez de la foi, vous ne réchauffez pas la pureté de cette foi personnelle à l’ardeur irrésistible de l’amour, sans lequel il n’est point de conquête dans le domaine de l’esprit et du cœur ? Un amour qui sait comprendre, un amour qui se sacrifie et qui, par son sacrifice, secourt et transfigure ; voilà le grand besoin, voilà le grand devoir d’aujourd’hui. Sages programmes, larges organisations, tout cela est fort bien ; mais, avant tout, le travail essentiel est celui qui doit s’accomplir au fond de vous-mêmes, sur votre esprit, sur votre cœur, sur toute votre conduite. Celui-là seul qui a établi le Christ roi et centre de son cœur, celui-là seul est capable d’entraîner les autres vers la royauté du Christ. La parole la plus éloquente se heurte aux cœurs systématiquement défiants et hostiles. L’amour ouvre les plus obstinément fermés. [...]
« Veillez, mes frères ! Vigilate, fratres ! »
Vigilate ! C’est qu’il ne s’agit plus aujourd’hui, comme en d’autres temps, de soutenir la lutte contre des formes déficientes ou altérées de la civilisation religieuse et la plupart gardant encore une âme de vérité et de justice héritée du christianisme ou inconsciemment puisée à son contact ; aujourd’hui, c’est la substance même du christianisme, la substance même de la religion qui est en jeu ; sa restauration ou sa ruine est l’enjeu des luttes implacables qui bouleversent et ébranlent sur ses bases notre confinent et avec lui le reste du monde.
Le temps n’est plus des indulgentes illusions, des jugements édulcorés qui ne voulaient voir dans les audaces de la pensée, dans les errements du sens moral qu’un inoffensif dilettantisme, occasion de joutes d’écoles, de vains amusements de dialecticiens. L’évolution de ces doctrines, de ces principes touche à son terme ; le courant, qui insensiblement a entraîné les générations d’hier, se précipite aujourd’hui et l’aboutissement de toutes ces déviations des esprits, des volontés, des activités humaines, c’est l’état actuel, le désarroi de l’humanité, dont nous sommes les témoins, non pas découragés, certes ! mais épouvantés.
Une grande partie de l’humanité dans l’Europe actuelle est, dans l’ordre religieux, sans patrie, sans foyer. Pour elle, l’Église n’est plus le foyer familial ; Dieu n’est plus le Père ; Jésus-Christ n’est plus qu’un étranger. Tombé des hauteurs de la révélation chrétienne, d’où il pouvait d’un coup d’œil contempler le monde, l’homme n’en peut plus voir l’ordre dans les contrastes de sa fin temporelle et éternelle ; il ne peut plus entendre et goûter l’harmonie en laquelle viennent se résoudre paisiblement les dissonances. Quel tragique travail de Sisyphe que celui qui consiste à poursuivre la restauration de l’ordre, de la justice, de la félicité terrestre, dans l’oubli ou la négation même des relations essentielles et fondamentales ! [...]
Ô Mère céleste, Notre Dame, vous qui avez donné à cette nation tant de gages insignes, de votre prédilection, implorez pour elle votre divin Fils ; ramenez-la au berceau spirituel de son antique grandeur, aidez-la à recouvrer, sous la lumineuse et douce étoile de la foi et de la vie chrétienne, sa félicité passée, à s’abreuver aux sources où elle puisait jadis cette vigueur surnaturelle, faute de laquelle les plus généreux efforts demeurent fatalement stériles, ou tout au moins bien peu féconds ; aidez-la aussi, unie à tous les gens de bien des autres peuples, à s’établir ici-bas dans la justice et dans la paix, en sorte que, de l’harmonie entre la patrie de la terre et la patrie du ciel, naisse la véritable prospérité des individus et de la société tout entière. »
Cardinal Eugenio Pacelli (futur Pie XII), in "Celui qui était hier le Cardinal Pacelli et qui est aujourd'hui Pie XII vous parle de la Vocation de la France - Discours prononcé à Notre-Dame de Paris - le 13 juillet 1937 - par le Cardinal Pacelli", Imp. Gibert-Clarey, 1937.