« Le froid crépuscule d'un soir d'hiver touchait à sa fin. Tous les efforts de Marie et de Joseph pour trouver un logement avaient été vains. [...] Le village était occupé d'autres choses plus importantes selon la manière du monde d'estimer ce qui est important. Les officiers impériaux préposés au dénombrement étaient là les hommes importants. Les visiteurs riches réclamaient naturellement ce que les hôtels pouvaient offrir de meilleur. La plupart des maisons particulières avaient reçu des parents de la campagne. Chacun était occupé. Ce groupe obscur de Nazareth, ce charpentier de Galilée, cette femme Mère, ce Verbe caché, il n'y avait pas de place pour eux. [...] Un extérieur réservé est peu éloquent auprès de la généralité des hommes. Si Dieu ne produit pas du bruit dans son propre monde, il est ignoré ; s'il en produit, il est regardé comme importun et tyran. Voici que vient à Bethléem le véritable César, le roi de tous les Césars romains, et il n'y a pas de place pour lui, et on ne le connaît pas. C'est sa faute, dira le monde. Il vient d'une manière qui n'est pas digne. Il n'apporte aucune preuve authentique de ses droits. Il commence par se mettre dans une fausse position ; car il vient pour se faire enrôler comme sujet, au lieu de réclamer les hommages comme souverain. En agissant ainsi, il espère que nous le comprendrons et que nous saurons où regarder pour le trouver et à quel moment nous devons l'attendre. Il y avait, même dans la faible lumière qui environnait Bethléem cette nuit, une ombre du Calvaire. De même que personne à Jérusalem ne voudrait le recevoir pendant la semaine sainte, ni lui donner à manger, de sorte qu'il serait obligé chaque soir de se retirer à Béthanie, ainsi personne à Bethléem ne voudra le recevoir, ni lui donner un abri à l'ombre duquel il puisse naître.
[...] Pour naître, Dieu a été relégué parmi les animaux et les bêtes de somme. [...] Non, Bethléem ne pouvait pas contenir celle qui portait en elle le Créateur du monde. Il y avait dans ce refus d'hospitalité une vérité dont les hommes n'avaient pas la conscience. Jésus devait naître hors des murs de Bethléem, comme il est mort hors des murs de Jérusalem. Ainsi il n'eût véritablement pas de ville natale. D'innocents animaux l'accueillirent de bon cœur, et une antique cavité pratiquée dans la terre lui offrit un asile quelque peu moins froid que le ciel étoilé d'une nuit d'hiver. Aux yeux des hommes, c'est tout ce qu'il a pu faire pour pouvoir naître, et obtenir une place où il pourrait visiblement mettre le pied sur la terre. [...]
Hélas ! l'esprit de Bethléem n'est que l'esprit d'un monde qui a oublié Dieu. Que de fois cet esprit n'a-t-il pas été le nôtre aussi ! Ne fermons-nous pas continuellement, avec une ignorance pleine de rudesse, la porte aux bénédictions célestes ? [...] Dieu vient à nous bien des fois dans la vie, mais nous ne connaissons pas sa face. [...] Bethléem ne prétendait pas du tout faire ce qu'il faisait. Il n'est personne qui ait l'intention de faire la moitié du mal qu'il fait. Aussi une grande partie de la compassion de Dieu consiste en ce qu'il regarde plus à ce que nous voulons faire qu'à ce que nous faisons. Cependant il est bien triste pour nous d'être aussi aveugles. N'est-ce pas, après tout, la véritable misère de la vie, l'abrégé de toutes les misères d'ici-bas, de rencontrer Dieu chaque jour, et de ne pas le reconnaître lorsque nous le voyons ? »
William Faber (1814-1863), Bethléem, ou le mystère de la Sainte Enfance (ch.3, La grotte de minuit), Tome premier, Paris, Ambroise Bray, 1862.