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p. edouard de lehen

  • Méditation : De la connaissance de soi-même

    « Au-dedans de nous-mêmes, des témoins intéressés sont toujours prêts à nous vanter la droiture de notre jugement, l'élévation et la profondeur de nos vues, la bonté de notre cœur, la justice, le désintéressement, la modération de notre caractère et mille autres qualités avantageuses dont nous composons un portrait propre à flatter notre vanité. Si un reste de pudeur ne nous permet pas de nous égaler aux plus grands et de nous attribuer ces qualités dans toute leur perfection, du moins nous mettons-nous au-dessus de la foule, et trouvons-nous aisément à qui nous préférer : il est rare surtout, même en convenant, comme l'exige la bienséance, que nous ne sommes pas sans défauts, que nous consentions à reconnaître celui qu'on nous reproche, et nous pouvons, même à nos heures de modestie, nous reconnaître dans ces paroles si vraies de Bossuet. « Au moment, dit-il, où je me crois le plus pénétré du sentiment de ma faiblesse et de ma misère, si quelqu'un va trouver que je n'ai point raison en quelque chose, me voilà plein aussitôt de raisonnements et de justifications. Cette horreur que j'avais de moi-même s'est évanouie, je ressens l'amour-propre, ou plutôt je montre que je ne m'en étais pas défait un seul instant. » - Le fruit de l'opinion que forment en nous ces lumières trompeuses de l'amour-propre, c'est de nous rendre fiers et exigeants à l'égard des autres, susceptibles, ombrageux, jaloux du mérite d'autrui, impatients, présomptueux, ambitieux, et, pour tout dire en un mot, de nourrir et d'exalter cet orgueil naturel que l'Esprit-Saint déclare le principe de tous les maux (1). Telles sont les pensées dont notre amour-propre aime à se repaître ; il faudrait, pour ainsi dire, nous arracher les yeux que nous tenons de la nature, pour nous obliger à voir les choses sous un autre aspect.

    La foi nous tient un bien autre langage ; en nous découvrant la honte de notre origine, souillée par le péché, elle nous y fait voir la source de l'affreuse corruption qui a envahi toutes les puissances de notre corps et de notre âme. Elle nous montre nos sens enclins au mal dès l'enfance, nos passions révoltées contre la raison, l'entraînant sans cesse au mal, qu'elle désapprouve, et lui rendant d'une difficulté extrême le bien, dont elle reconnaît la beauté ; l'ignorance profonde où nous sommes naturellement de ce qu'il nous importe le plus de savoir ; le dérèglement d'une imagination délirante qui vient sans cesse troubler et fausser les opérations de notre esprit ; enfin notre impuissance radicale à rien faire par nous-mêmes dans l'ordre du salut. Cette idée de nous-mêmes, si différente de celle que nous présente l'amour-propre, doit naturellement produire aussi des effets tout opposés. Elle est la source des vertus d'humilité, de modestie, de patience, de la défiance de soi, première condition requise pour que nous tournions comme il faut nos regards vers Dieu, et que nous mettions en lui notre confiance : et comme l'humilité sincère, qui n'est autre chose que la vérité sur le tout de Dieu et le néant de la créature, est le fondement de toutes les vertus, cet humble et véridique jugement sur nous-mêmes, en nous mettant à notre véritable place vis-à-vis de Dieu, des autres hommes et de nous-mêmes, fait bientôt fleurir dans l'âme toutes les vertus. »

    1. Initium omnis peccati est superbia. Eccl. X, 15.

    P. Edouard de Lehen s.j. (1807-1867), La Voie de la Paix intérieure dédiée a Notre-Dame de la Paix, Seconde Partie Chap. VI, Nouvelle édition, Paris, René Haton, 1883 (1ère éd. Paris, 1855).

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    Connais-toi toi-même : La jeunesse entre le vice et la vertu
    Tableau de Jacob Jordaens (1593-1678), Musée des Beaux-Arts de Rennes