« C'est qu'il n'est pas si commun, si facile qu'on le pense d'aimer la nature, c'est-à-dire de sortir de soi, de considérer le monde extérieur, avec désintéressement et respect, d'y chercher non des plaisirs, mais des leçons. Aussi le christianisme, si souvent accusé de fouler aux pieds la nature, a-t-il seul appris à l'homme à la respecter, à l'aimer véritablement, en faisant paraître le plan divin qui la soutient, l'éclaire et la sanctifie. C'était à cette clarté que François considérait la création ; il en parcourait tous les degrés pour y chercher les vestiges de son Dieu ; il retrouvait celui qui est souverainement beau dans les créatures belles ; il ne dédaignait pas les plus petites, les plus méprisées, et, se souvenant de leur commune origine, il les nommait ses frères et ses sœurs. En paix avec toutes choses, et revenu en quelque sorte à la primitive innocence, son cœur débordait d'amour non seulement pour les hommes, mais pour tous les animaux qui broutent, qui volent et qui rampent ; il aimait les rochers et les forêts, les moissons et les vignes, la beauté des champs, la fraîcheur des fontaines, la verdure des jardins, et la terre et le feu, et l'air et les vents, et il les exhortait à rester purs, à honorer Dieu, à le servir. Là où d'autres yeux n'aperçoivent que des beautés périssables, il découvrait comme d'une seconde vue les rapports éternels qui lient l'ordre physique avec l'ordre moral, et les mystères de la nature avec ceux de la foi. C'est ainsi qu'il ne se lassait pas d'admirer la grâce des fleurs et de respirer leurs parfums en songeant à la fleur mystique qui sortit de la tige de Jessé ; et, quand il en trouvait beaucoup ensemble, il les prêchait comme si elles eussent été douées de raison. Ses heures se passaient quelquefois à louer l'industrie des abeilles ; et lui, qui manquait de tout, leur faisait donner en hiver du miel et du vin, afin qu'elles ne périssent pas de froid. Il proposait pour modèle à ses disciples la diligence des alouettes, l'innocence des tourterelles. Mais rien n'égalait sa tendresse pour les agneaux, qui lui rappelaient l'humilité du Sauveur et sa mansuétude. »
Bx Frédéric Ozanam (1813-1853), François d'Assise, in "Les Poètes franciscains en Italie au XIIIe siècle", Œuvres complètes de A.-F. Ozanam Tome V, chap.II, Jacques Lecoffre et Cie, Paris, 1855 (2e éd.)