« L'intention de l’Église est d'honorer aujourd'hui tous les saints ensemble. Je les aime, je les invoque, je m'unis à eux, je joins ma voix aux leurs pour louer Celui qui les a faits saints. Que volontiers je m'écrie avec cette Église céleste : Saint, Saint, Saint ! à Dieu seul la gloire ! que tout s'anéantisse devant lui !
Je vois les saints de tous les âges, de tous les tempéraments, de toutes les conditions : il n'y a donc ni âge, ni tempérament, ni condition qui exclue de la sainteté. Ils ont eu au dehors les mêmes obstacles, les mêmes combats que nous ; ils ont eu au dedans, les mêmes répugnances, les mêmes sensibilités, les mêmes tentations, les mêmes révoltes de la nature corrompue ; ils ont eu des habitudes tyranniques à détruire, des rechutes à réparer, des illusions à craindre, des relâchements flatteurs à rejeter, des prétextes plausibles à surmonter, des amis à craindre, des ennemis à aimer, un orgueil à saper par le fondement, une humeur à réprimer, un amour-propre à poursuivre sans relâche jusque dans les derniers replis du cœur.
Ah ! que j'aime à voir les saints, faibles comme moi, toujours aux prises avec eux-mêmes, n'ayant jamais un seul moment d'assuré ! J'en vois dans la retraite livrés aux plus cruelles tentations ; j'en vois dans les prospérités les plus redoutables et dans le commerce du siècle le plus empesté. Ô grâce du Sauveur, vous éclatez partout, pour mieux montrer votre puissance, et pour ôter toute excuse à ceux qui vous résistent ! Il n'y a ni habitude enracinée, ni tempérament ou violent ou fragile, ni croix accablantes, ni prospérités empoisonnées, qui puissent nous excuser, si nous ne pratiquons pas l’Évangile. [...]
Dirai-je avec le monde insensé : Je veux bien me sauver, mais je ne prétends pas être un saint ? Ah ! qui peut espérer son salut sans la sainteté ? Rien d'impur n'entrera au royaume des cieux ; aucune tache n'y peut entrer ; si légère qu'elle puisse être, il faut qu'elle soit effacée, et que tout soit purifié jusque dans le fond par le feu vengeur de la justice divine, ou en ce monde ou en l'autre : tout ce qui n'est pas dans l'entier renoncement à soi et dans le pur amour qui rapporte tout à Dieu sans retour, est encore souillé. Ô sainteté de mon Dieu, aux yeux duquel les astres mêmes ne sont pas assez purs ! Ô Dieu juste, qui jugerez toutes nos imparfaites justices ! mettez la vôtre au dedans de mes entrailles pour me renouveler ; ne laissez rien en moi de moi-même. » (VI, 70)
Fénelon (1651-1715), Pour la fête de tous les saints, in "Œuvres spirituelles", Manuel de piété, Coll. Les maîtres de la spiritualité chrétienne, Aubier, Paris, 1954.
Le Tintoret (1518-1594) et son fils, Le Paradis (partie gauche)
Salle du Grand Conseil du Palais des Doges, Venise (Italie)
(Tableau monumental de 22 mètres de long pour 10 mètres de haut)