« Que pouvait-il sortir du triomphe de l'amour et de la défaite de l'Egoïsme, si ce n'est le dévouement ? Quand l'homme a cessé de se donner à lui-même, quel autre besoin peut-il éprouver, si ce n'est le besoin de se donner aux autres, c'est-à-dire de se dévouer ? Dieu a creusé au fond du cœur humain comme un immense réservoir d'amour d'où les dévouements peuvent jaillir toujours. Mais l'Egoïsme, posé au cœur humain par le péché, était comme la pierre qui y scellait la source des dévouements, et retenait dans son fonds cette eau vive et féconde qui a besoin de se répandre. Jésus-Christ a ôté cette pierre ; et de tous les cœurs d'où l'Egoïsme s'est retiré, les dévouements vont déborder pour se répandre sur toutes les misères ; ils vont former dans l'humanité chrétienne ce fleuve vaste et profond de la charité qui, coulant à travers les siècles, ira grandissant tous les jours par les milliers d'affluents grossir son cours...
Ah ! dans ces dévouements que l'amour de Jésus-Christ fera sortir du cœur humain, quelle multiplicité ! et dans cette prodigieuse multiplicité, quelle unité plus prodigieuse encore ! multiplicité des dévouements sortant d'un même amour pour y retourner sans cesse, comme on voit tous les fleuves aller se verser dans l'abîme d'un même océan, d'où ils sont sortis par mille canaux mystérieux pour arroser la terre. Ces dévouements créés pour toutes les misères, qui les comptera ! qui pourra dire, avec leur nombre, leurs divines industries ? Il y en aura pour les vieillards, il y en aura pour les enfants, il y en aura pour les veuves, il y en aura pour les orphelins, il y en aura pour les sourds, il y en aura pour les muets, il y en aura pour les aveugles, il y en aura pour les paralytiques, les estropiés, les lépreux, les captifs ; il y en aura pour ceux qui manquent de pain, de travail, de santé. Aussi intelligent que libéral, le dévouement chrétien visitera, pour se donner à elles, toutes les misères humaines, il découvrira toutes les douleurs, sondera toutes les blessures, devinera tous les malheurs : et il trouvera pour chaque douleur un soulagement, pour chaque blessure un remède, et pour tout malheur une consolation ; il attestera enfin par les miracles du sacrifice la défaite de l'Egoïsme au fond du cœur humain : et il prouvera par la plus invincible démonstration que comme Jésus-Christ pose dans sa doctrine le fondement de tous les progrès, il leur donne par son amour leur couronnement sublime. »
R.P. C.J. Félix s.j. (1810-1891), Le Progrès par le christianisme - Conférences de Notre-Dame de Paris, Année 1858 (Septième conférence : le progrès moral par la destruction de l'égoïsme), 4e édition, Paris, Librairie d'Adrien Le Clere et Cie, s.d.
Rembrandt (1606–1669) : Le Christ prêchant
(Bibliothèque Nationale de France, Paris, Inv. W.B. 74.2, Bartsch 74)