« Par une contradiction apparente qui est l'harmonie profonde du christianisme, ce mot humilité, signe du volontaire abaissement de l'homme, est devenu le signe de son agrandissement. Au fond de toute restauration, au commencement de tout agrandissement de l'homme, le christianisme pose comme condition première le volontaire abaissement de l'homme. Ainsi il réagit contre l'orgueil, principe de nos décadences, par l'humilité, principe de nos progrès. Satan veut entraîner l'humanité dans son propre mouvement : il s'est élevé, il est tombé ; il pousse l'homme à l'imitation de son orgueil, pour l'entraîner à l'imitation de sa chute ; exalter l'homme pour le précipiter, c'est la stratégie de Satan. Jésus-Christ, lui aussi, veut entraîner l'humanité dans son mouvement : il descend, et il unit à ses abaissements divins toute l'humanité qui le suit ; mais pourquoi ? pour nous élever jusqu'à sa propre grandeur. Cet enfant, parti de son abaissement infini va grandir dans ses langes ; il va croître jusqu'à la plénitude de l'homme parfait ; puis, se dilatant lui-même dans son corps mystique, à travers l'espace et le temps, il emportera l'humanité chrétienne dans sa divine croissance. ... Telle est notre science du progrès ; elle se résume tout entière dans cette contradiction sublime : s'abaisser pour s'élever, se diminuer pour s'agrandir. C'est le dogme et la pratique tout ensemble. Le christianisme dogmatique, c'est Dieu abaissé jusqu'à l'homme ; le christianisme pratique, c'est l'homme qui s'abaisse avec Dieu, mais pour remonter avec lui ; car celui qui remonte c'est celui qui est descendu ; et toute l'humanité qui descend avec lui dans son humilité, monte avec lui dans sa gloire, et trouve dans son abaissement le secret de sa grandeur : qui se humiliat exaltabitur (Mt XXIII, 12). »
R.P. C.J. Félix s.j. (1810-1891), Le Progrès par le christianisme - Conférences de Notre-Dame de Paris, Année 1858 (Troisième conférence : le progrès moral par l'humilité chrétienne), 4e édition, Paris, Librairie d'Adrien Le Clere et Cie, s.d.