« Je souhaite fort que vous ayez la paix au-dedans. Vous savez qu'elle ne se peut trouver que dans la petitesse, et que la petitesse n'est réelle qu'autant que nous nous laissons rapetisser sous la main de Dieu en chaque occasion. Les occasions dont Dieu se sert consistent d'ordinaire dans la contradiction d'autrui qui nous désapprouve, et dans la faiblesse intérieure que nous éprouvons. Il faut nous accoutumer à supporter au-dehors la contradiction d'autrui, et au-dedans notre propre faiblesse. Nous sommes véritablement petits quand nous ne sommes plus surpris de nous voir corrigés au-dehors, et incorrigibles au-dedans. Alors tout nous surmonte comme de petits enfants, et nous voulons être surmontés ; nous sentons que les autres ont raison, mais que nous sommes dans l'impuissance de nous vaincre pour nous redresser. Alors nous désespérons de nous-mêmes, et nous n'attendons plus rien que de Dieu. Alors la correction d'autrui, quelque sèche et dure qu'elle soit, nous paraît moindre que celle qui nous est due. Si nous ne pouvons pas la supporter, nous condamnons notre délicatesse encore plus que nos autres imperfections. La correction ne peut plus alors nous rapetisser, tant elle nous trouve petits. La révolte intérieure, loin d'empêcher le fruit de la correction, est au contraire ce qui nous en fait sentir le pressant besoin. En effet, la correction ne peut se faire sentir qu'autant qu'elle coupe dans le vif. Si elle ne coupait que dans le mort, nous ne la sentirions pas. Ainsi, plus nous la sentons vivement, plus il faut conclure qu'elle nous est nécessaire. »
Fénelon (1651-1715), Lettre 178 (A la Duchesse Douairière de Mortemart), 22 août 1708, in "Œuvres de Fénelon" Tome Cinquième, A Paris, Chez Lefèvre, Éditeur, 1858.