Pierre s'en prit donc à ses yeux, mais aucune prière ne tomba de ses lèvres. Je lis dans l’Évangile qu'il pleura, mais, nulle part, je ne lis qu'il prononça un mot de prière ; je vois couler ses larmes, mais je n'entends pas l'aveu de sa faute. Oui, Pierre a pleuré et il s'est tû : c'était justice, car, d'ordinaire, ce qu'on pleure ne s'excuse pas, et ce qu'on ne peut excuser peut se pardonner. Les larmes effacent la faute que la honte empêche d'avouer. Pleurer, c'est donc, tout à la fois, venir en aide à la honte et obtenir indulgence : par là, on ne rougit pas à demander son pardon, et on l'obtient en le sollicitant. Oui, les larmes sont une sorte de prière muette : elles ne sollicitent pas le pardon, mais elles le méritent ; elles ne font aucun aveu, et pourtant elles obtiennent miséricorde. En réalité, la prière de larmes est plus efficace que celle de paroles, parce qu'en faisant une prière verbale, on peut se tromper, tandis que jamais on ne se trompe en pleurant. A parler, en effet, il nous est parfois impossible de tout dire, mais toujours nous témoignons entièrement de nos affections par nos pleurs. Aussi Pierre ne fait-il plus usage de sa langue, qui avait proféré le mensonge, qui lui avait fait commettre le péché et perdre la foi ; il a peur qu'on ne croie pas à la profession de foi sortie d'une bouche qui a renié son Dieu : de là sa volonté bien arrêtée de pleurer sa faute, plutôt que d'en faire l'aveu, et de confesser par ses larmes ce que sa langue avait déclaré ne pas connaître. Si je ne me trompe, voici encore pour Pierre un autre motif de garder le silence : demander son pardon sitôt après sa faute, n'était-ce pas une impudence plus capable d'offenser Dieu, que de l'amener à se montrer indulgent ? Celui qui rougit en sollicitant son pardon, n'obtient-il pas ordinairement plus vite la grâce qu'il demande ? Donc, en tout état de faute, mieux vaut pleurer d'abord, puis prier. Nous apprenons ainsi, par cet exemple, à porter remède à nos péchés, et il s'ensuit que si l'Apôtre ne nous a pas fait de mal en reniant son Maître, il nous a fait le plus grand bien par la manière dont il a fait pénitence de son péché.
Enfin, imitons-le relativement à ce qu'il a dit en une autre occasion. Le Sauveur lui avait, trois fois de suite, adressé cette question : « Simon , m'aimes-tu (3)? » et, chaque fois, il avait répondu : « Seigneur, vous le savez, je vous aime ». Et le Seigneur lui dit : « Pais mes brebis ». La demande et la réponse ont eu lieu trois fois pour réparer le précédent égarement de Pierre. Celui qui, à l'égard de Jésus, avait proféré un triple reniement, prononce maintenant une triple confession, et autant de fois sa faiblesse l'avait entraîné au mal, autant de fois, par ses protestations d'amour, il obtient la grâce du pardon. Voyez donc combien il a été utile à Pierre de verser des larmes : avant de pleurer, il est tombé ; après avoir pleuré, il s'est relevé : avant de pleurer, il est devenu prévaricateur ; après avoir pleuré, il a été choisi comme pasteur du troupeau, il a reçu le pouvoir de gouverner les autres, bien qu'il n'ait pas su, d'abord, se diriger lui-même. Telle fut la grâce que lui accorda Celui qui, avec Dieu le Père et le Saint-Esprit, vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. »
1. Gen. III, 9. - 2. Ps XXXIII, 16. - 3. Jean, XXI, 13. - 2. Ibid. 1.
St Augustin (345-430), extraits du Onzième Sermon sur la chute de Pierre (3-4), in "Œuvres complètes de Saint Augustin" (Suite du Tome XI : sixième série, sermons inédits, troisième Supplément), traduites pour la première fois en français sous la direction de M. l'abbé Raulx, Bar-Le-Duc, L. Guérin et Cie Éditeurs, 1868.
Source : Abbaye Saint Benoît de Port-Valais - CH 1897 Le Bouveret (VS).
Voir aussi sur notre site, pour la Fête des Saints Pierre et Paul, apôtres :
- St Bernard, extraits du Deuxième Sermon pour la Fête des Saints Apôtres Pierre et Paul (5-6)
- St Augustin, extraits du Neuvième Sermon pour la Fête des Saints Apôtres Pierre et Paul (II)
- St Bernard, Troisième Sermon pour la Fête des Apôtres Saint Pierre et Saint Paul.
Francisco de Zurbarán (1598–1664), Les larmes de Saint Pierre
El Greco Museum, Tolède (Espagne)
(Crédit photo)