« Rien ne m'inquiète comme l'avenir.
Le passé, si pénible soit-il, je l'ai vécu ; j'ai souffert, j'ai supporté, c'est fini ; j'ai peut-être triomphé de ce passé.
J'ai même l'âme en paix pour tout ce qui a pu le souiller ; car, j'ai demandé pardon. Et Dieu, parce que je pardonne, a pardonné.
Le présent, je le vis, si dur soit-il ; je sais où je suis ; je me rends compte de mes difficultés ; je travaille à les vaincre.
Je l'ai devant moi, je n'ai pas à craindre qu'il me surprenne, à mon insu, à l'improviste. Au besoin, je me défends ; et je sais à quelle place je puis frapper.
Mais l'avenir, l'avenir ? De quoi l'avenir sera-t-il fait ? Que m'arrivera-t-il demain, après-demain, dans un an, dans dix ans ?
Où serai-je, que ferai-je ? Et moi, et les miens, et tous ceux et celles que j'aime, que deviendront-ils ? Oh ! le souci des miens !...
Et ma fortune qui s'émiette ?
Et mes enfants qui grandissent, turbulents, audacieux, passionnés déjà ?
Et ma santé ébranlée ? Et l'âge qui vient ?
Et cette éternelle importune, la mort qui m'apparaît proche, traîtresse, inopinée, souvent, peut-être sans prêtre ! Tout cela m'agite...
Et tout ce qu'on appelle ce mystère : l'avenir, cauchemar parfois si troublant, et que, de lassitude souvent, on voudrait ne plus regarder, ne plus pressentir ; car le bon Dieu se l'est réservé à Lui seul.
Ah ! vous avez raison... L'avenir !... C'est Dieu, c'est le bon Dieu qui le connaît et le garde.
Et cette pensée-là, précisément, c'est elle qui, tout-à-coup, jette lumière en moi et l'espérance, et calme, et quiétude parfaite.
Mon Dieu, Vous, le bon Dieu, Vous savez mon avenir ? Bien sûr. Qui peut douter de cela ?
Vous l'avez devant Vous, aussi présent à Vous-même que Vous-même, ô Vous, qui vivez et régnez dans un éternel présent.
Vous tenez mon avenir dans vos mains.
Vous l'y gardez puissamment, et avec tant de sainte prévoyance, avec tant d'amour aussi...
Autant dire que Vous me serrez, moi-même, dans le creux de cette Main adorable en laquelle sont toutes choses, oui, l'univers entier (1).
Ah ! si je me décidais à croire, enfin, à cette Providence que Vous être et que j'adore ;
A la Providence d'un Père, de toute bonté, au bon Dieu !... J'éprouve une telle consolation et une telle force à vous le redire : « Vous êtes le bon Dieu » Et je suis, moi, votre pauvre petite créature qui s'abandonne, aveuglément, pour son avenir, à Vous seul.
Vous êtes mon Père, un vrai Père à qui l'enfant que je suis, se laisse aller, sans réserve, si sûr de Vous...
Pourquoi, si je crois en Vous, si j'espère en Vous, pourquoi me laisseriez-Vous choir de cette Main-là, qui gouverne tout ce qui est, tout ce qui se meut, tout ce qui vit ?
Pourquoi hésiterais-je, un seul instant, à refuser à mon âme tout souci d'avenir, toute inquiétude, toute crainte, toute défiance aussi ?
Ah ! n'est-ce pas me défier de Vous que de vivre ainsi, continuellement, dans cette attitude d'âme si peu chrétienne, si indigne de Vous ?
Non, je ne veux plus regarder ainsi dans l'inconnu de la vie, en me troublant.
« A chaque jour suffit sa peine, et demain aura souci de lui-même » (2) dit Jésus.
C'est du pur Évangile, si toutefois je veux croire à la Parole infaillible de la Vérité.
Père, c'est fait... Je vous abandonne mon avenir, quel qu'il puisse être.
S'il doit être rempli et débordant de joies pures, de consolations, de succès, de rêves enfin réalisés, je vous bénis, dès aujourd'hui.
Si, au contraire, Vous me l'avez préparé plein de dégoûts, d'ennuis, de tristesses et de déceptions, je veux vous en bénir, dès maintenant.
Mes joies, Vous les sanctifierez, dans l'humilité de mon cœur.
Mes peines, Vous en ferez un élément de grande pénitence, qui sauve.
Je m'abandonne, je ne regarde plus, je ne veux plus être inquiet.
Je suis dans vos mains de Père, souveraine Providence ; et j'y veux rester, toujours, avec l'aide de votre grâce.
Seigneur, ne me laissez plus succomber à la tentation, à l'épreuve de l'inquiétude. »
1. Ps. XCIV, 4. - 2. Matth. VI, 34.
Dom Eugène Vandeur o.s.b. (1875-1967), L'abandon à Dieu Voir de la Paix. Commentaire du Pater (Vingt-et-unième élévation), Deuxième édition, Abbaye de Maredsous, 1938.
(CBR002752 [RF] Copyright www.visualphotos.com)