« C'est avec raison, mes frères, que l'Église, notre mère, applique aux saints apôtres ces paroles du Sage : « Ce sont des hommes de miséricorde, dont les justices ne tombent point dans l'oubli, les biens qu'ils ont laissés à leur postérité, y subsistent toujours (Eccli. XIV, 10 et 11). » Oui, on peut bien les appeler des hommes de miséricorde, tant parce qu'ils ont obtenu miséricorde pour eux-mêmes, que parce qu'ils sont pleins de miséricorde, ou que c'est dans sa miséricorde que Dieu nous les a donnés. Voyez, en effet, quelle miséricorde ils ont obtenue. Si vous interrogez saint Paul sur ce point, on même si seulement vous voulez l’écouter, il vous dira de lui-même : « J'ai commencé par être un blasphémateur, un persécuteur, un homme inique, mais j'ai obtenu miséricorde de Dieu (I Tim. I, 13). » Qui ne sait, en effet, tout le mal qu'il a fait aux chrétiens à Jérusalem ? Que dis-je, à Jérusalem ? Sa rage insensée se déchaînait dans la Judée tout entière, où il voulait déchirer les membres de Jésus-Christ sur la terre. Dans ces sentiments de furie, il allait ne respirant que menaces et que carnage contre les disciples du Seigneur (Act. IX, 1), quand il devint disciple de ce même Seigneur qui lui fit connaître tout ce qu'il devait souffrir pour son nom. Il allait exhalant, par tout son être, l'odeur d'un cruel venin, lorsque, tout à coup, il se vit changé en en vase d'élection, et sa bouche ne fit plus entendre que des paroles de bonté et de piété : « Seigneur, s'écrie-t-il, que voulez-vous que je fasse (Ibidem 6) ? » Certes, on peut bien dire qu'un pareil changement est l’œuvre de la main de Dieu. II avait donc bien raison de s'écrier : « C'est une vérité certaine et digne d'être reçue avec une entière déférence, que Jésus-Christ est venu dans le monde sauver les pécheurs, au premier rang desquels je puis me placer (I Tim. I, 15). » Prenez donc confiance, mes frères, et consolez-vous à ce langage de saint Paul, et, si vous êtes convertis au Seigneur, que le souvenir de vos fautes passées ne tourmente pas vos consciences à l'excès, qu'il vous soit plutôt un motif de vous humilier, comme le fait saint Paul quand il s'écriait : « Je suis le moindre des apôtres, je ne mérite même point de porter ce nom, parce que j'ai persécuté l'Église de Dieu (I Cor. XV, 9). » A son exemple, humilions-nous aussi sous la main puissante de Dieu, et espérons que, nous aussi, nous avons obtenu miséricorde, que nous avons été lavés de nos souillures et sanctifiés. En parlant ainsi, c'est pour tous que je parle, car tous nous avons péché, et tous nous avons besoin de la gloire de Dieu.
Pour ce qui est du bienheureux Pierre, j'ai une autre chose à vous dire, mais une chose d'autant plus sublime qu'elle est unique. En effet, si Paul a péché, il l'a fait sans le savoir, car il n'avait point la foi ; Pierre, au contraire, avait les yeux tout grands ouverts au moment de sa chute. Eh bien, là où la faute a abondé, a surabondé la grâce, si on peut dire que la rédemption de ceux qui pèchent avant de connaître Dieu, avant d'avoir senti l'effet de ses miséricordes, avant d'avoir porté le joug si doux et si léger du Seigneur, enfin avant d'avoir reçu la grâce de la dévotion et les consolations du Saint-Esprit, est une rédemption abondante. [...]
Mes enfants bien-aimés... je ne demande qu'une chose à ceux qui tombent, c'est de ne point s'enfoncer davantage dans le mal, mais plutôt de se relever avec la ferme confiance que le pardon ne leur sera point refusé, pourvu qu'ils confessent leurs fautes de tout leur cœur. En effet, si saint Pierre, dont je vous parle en ce moment, a pu s'élever à un pareil degré de sainteté, après avoir fait une si lourde chute, qui pourra désormais se désespérer, pour peu qu'il veuille lui aussi sortir de ses péchés ? Remarquez ce que dit l'Évangile : « Étant allé dehors, il pleura amèrement (Matt. XXVI, 75), » et voyez dans sa sortie, la confession de son péché, et, dans ses larmes amères, la componction du coeur. Puis remarquez que c'est alors que ce que Jésus lui avait dit lui revint en mémoire ; la prédiction de sa faiblesse lui revînt donc à l'esprit, dès que sa présomptueuse témérité se fut évanouie. Ah ! malheur à vous, mon frère, qui, après une chute, vous montrez à nos yeux plus fort qu'auparavant. Pourquoi cette raideur qui ne peut que vous perdre ? Courbez donc plutôt le front, pour vous relever d'autant mieux, n'empêchez pas de rompre même ce qui n'est pas droit, afin qu'on puisse le rétablir solidement ensuite. Le coq chante, pourquoi lui en vouloir de son reproche ? Indignez-vous plutôt contre vous-même. [...]
Vous avez entendu quelle miséricorde ont obtenue les apôtres, et nul de vous, désormais, ne sera accablé de ses fautes passées, plus qu'il ne faut, dans le sentiment de componction qui le suivra jusque sur sa couche. Eh quoi ! en effet ! Si vous avez péché dans le siècle, Paul n'a-t-il point péché davantage ? Si vous avez fait une chute en religion même, Pierre n'en a-t-il pas fait une plus profonde que vous ? Or, l'un et l'autre, en faisant pénitence, non seulement ont fait leur salut, mais sont devenus de grands saints, que dis-je, sont devenus les ministres du salut, les maîtres de la sainteté. Faites donc de même, mon frère, car c'est pour vous que l'Écriture les appelle des hommes de miséricorde, sans doute à cause de la miséricorde qu'ils ont obtenue. »
St Bernard, Troisième Sermon pour la Fête des Apôtres Saint Pierre et Saint Paul. Sur ce passage du livre de la Sagesse : « Ce sont des hommes de miséricorde » (Eccli. XLIV, 10).
Oeuvres complètes de St Bernard, Traduction Nouvelle par M. l'Abbé Charpentier, Tome III, Paris, Librairie de Louis Vivès Éditeur, 1866.